Aur regard et à la lecture de ce dessin que je vous sers en hors-d’œuvre, d’un monde anthropologique qui se fend d’une autocritique salutaire, ma mémoire est titillée par une comédie satirique, « Les faiseurs de Suisses », où l’étranger, à l’arrivée imminente de l’inspecteur de l’office de naturalisation, transforme sa cuisine, lieu hautement stratégique, en chalet d’intérieur, imitant à la perfection l’atmosphère du cru, odeur de fromage fondu comprise.

Ce parallèle criant rappelle à nos inspecteurs-anthropologues un pays de villégiature idéal, avec ses montagnes et son chocolat, pour une formation continue et de détente…

La grande préoccupation de nos chercheurs durant ce dernier siècle dans ce domaine fut leur présence non dénuée de sens, in situ, parmi les autochtones, si possible dans des contrées très lointaines, où l’exotisme était à la mesure de leurs attentes. Un véritable réseau de parcs d’attractions, nous rappelant « la contée », loin des vicissitudes et du bruit métallisé, où l’on fuit les nuisances du monde moderne poussant ses derniers hurlements technologiques, à l’orée de bouleversements irréversibles, dont les précipitations résonnent comme le glas d’une disparition. Car nous ne savons qui de nous ou d’eux disparaitront et c’est sous ce charmant augure que nous cherchons frénétiquement, nous hommes férus de technologie, une raison à tout cela.

Mais à trop vouloir scruter au-delà de nos contrées, nous oublierions outre notre voisin de palier, la raison de ces innombrables excursions.

Pour accompagner mon lecteur dans cette critique, je commencerais par cette futile similitude orthographique de ce couple improbable : ils ont tous les deux la lettre h en quatrième position, signe d’une véritable érudition, bien qu’authenticité soit une clef marketing de très loin supérieure, multitâche qu’elle est avec tant d’autres mots anxiolytiques. Cette quatrième position donc, muette comme une carpe, forme l’accroche entre ces deux mots lorsqu’ils sont choisis et joints par leur h pour former un T, telle une croix plantée sur le sol dont l’ombre indique l’heure au fil de la rotation terrestre. Elle pointe également l’endroit pour la fouille et la découverte, excitant nos anthropologues-chercheurs, à l’affut du moindre indice. J’oserais par inversion, en déduire cette suite navrante, que cette croix plantée en équateur ne produit aucune ombre et indiquant le surplace, elle oriente la quête sur soi et le désintérêt de l’autre.

Cette argutie de forme sert donc d’introduction à un sophisme de fond.

Tout d’abord la distance : comme s’il y avait en effet une relation croissante entre distance et authenticité. Pour reprendre notre bon vieux français, l’herbe étant plus verte ailleurs elle l’est donc encore plus chez nous et ainsi de suite, puisque nous sommes à notre tour voisins du voisin. Cette herbe miraculeuse, pour satisfaire cette itération sans limites, devrait être compensée par une croissance verticale tapissant ainsi le ciel de cette couleur naturelle, qui atteindrait les cieux, mettant notre Guliver en état d’insatisfaction permanente. Cette déduction saugrenue qui valide l’esprit et non la lettre, nous titille sur cet aspect anthropocentré de l’objet prisé par le chercheur : tout comme la distance, l’exotisme est bien partagé par les deux parties et c’est donc bien sur la volonté qu’est activé cette recherche. On doit quitter sa maison pour frapper aux portes et c’est ce qui nous différencie de l’autre et qui nous rend tant exotique.

L’authenticité comme objet d’observation est quasi illusoire : qui se comporte authentiquement quand il se sait observé ? D’aucuns penseront que la liberté est un trésor sans témoin, où l’authenticité tant désirée se cache en attendant le moment opportun pour surgir, nous soulageant de nos contraintes sociales tant nécessaires à une vie en communauté. Prémisse d’une tendance « vintage », post-romantisme transféré dans des contrées lointaines, cette projection d’une authenticité retrouvée, car perdue sous nos latitudes, n’est pas plus sensée que l’argutie orthographique. D’ailleurs, en quoi le métal ou le plastique remettraient en question l’authenticité de leur utilisateur ou d’une situation ? Encore un mystère venu des âges contemporains, qui également pose le faux problème de vouloir qualifier deux sociétés sur leur capacité de transformation de matières premières en objets artificiels, à des fins d’adéquation entre actes et pensées. Ce n’est pas pertinent et cela résulterait plus d’une échelle de Richter que d’une compréhension claire et équilibrée de la relation entre deux exotismes. En effet, l’activité est également une réponse à l’environnement et nos arboricoles en herbes hautes voudraient extraire de la roche qu’ils ne pourraient point. Il leur suffirait me diriez-vous qu’ils quittassent leur sacrée forêt pour nous imiter enfin, mais à ce moment-là ils perdraient leur qualité d’authentique, serpent qui doucereusement se mordille la queue. Plus encore, cela induirait un comportement schizophrène, où notre individu lutterait constamment contre toute tentative d’intrusion d’une envie plus que millénaire, de vouloir construire un outil hors du commun qui n’obéirait plus aux standards environnementaux : pris en flagrant délit, notre falsificateur pris à la gorge par un sentiment de culpabilité, se trouverait soudain condamné au cynisme éternel.

Non, en fait, n’importe quelle parcelle habitée peut être le vecteur d’une authenticité, même fortuite, que nul objet ne saurait effacer. Ce dernier pourrait d’ailleurs en être le levier multipliant sa potentialité, exacerbant ainsi le contrôle de soi, norme sociale à la fois libératrice et oppressante.

Cette quête de la pureté et de la crédulité, suite historique des mythes de la Genèse, de l’apôtre ignorant et du bon sauvage, relecture postrévolutionnaire de notre rapport à l’autre, témoigne d’une cécité qui pousse au sophisme sincère, volonté à vouloir comprendre l’homme, l’individu et le groupe dans son environnement. Non, l’authenticité n’est pas l’effet d’un quelconque éloignement, ni d’une société aux outils rudimentaires. C’est bel et bien un rapport entre paroles et actes et si la multiplication des outils peut en effet en brouiller lien, son absence n’est en rien un gage de sincérité.

Le vrai voyage exotique est en clair celui de l’autochtone que nous sommes tous, qui vient nous rendre visite sous nos latitudes pour nous observer. Je n’ose par ailleurs penser à la déception de nos postromantiques, si nos extra-terrestres en venaient à conclure que leurs contrées luxuriantes ne sont qu’ennui et désintérêts. Image qui va à l’encontre de nos représentations idylliques de notre Homme naturel, où quand l’observé devient possession… Non, c’est bien de nos deux protagonistes, auxquels nous assistons à la rencontre, que se forme ce couple aussi improbable soit-il, d’anthropologie et d’authenticité.

Auteur: Jean-Marc Pauli