Bouée de sauvetage ou bouteille à la mer, le télétravail auparavant toisé mais aujourd’hui élevé en parangon d’une bureautique sacerdotale, summum de la flexibilité individuelle pour une lutte sans merci contre l’ineffable virus, 19ème du nom… en l’attente du 20ème, est l’ultime illusion d’une génération qui se perd en conjecture et longues phrases.
Il suffit d’être connecté au réseau pour continuer, certes à moindre rendement, une communication des flux et reflux administratifs animés par des anglicismes magiques, inspirateurs du futur, suivant les flots océaniques de la novlangue et du politiquement correct, coulant sur les cimes sous-marines des plaques tectoniques, au nom d’un multiculturalisme administratif du nouveau monde. Que d’élan, que d’inspiration, il ne resterait que l’humour à cet édifice aux pieds d’argiles, celui de l’autodérision, mais que mon lecteur ne s’angoisse point, ce dernier également disparaitra.
Sérieusement, le télétravail règle-il nos problèmes ? Je propose pour répondre à cette question totalement saugrenue une expérience de pensée : Imaginons en effet le boulanger, le livreur de marchandise, notamment des matières premières comme le blé et le pétrole, l’éboueur, le policier, le pompier, l’ouvrier, le facteur, le médecin, je laisse à mon lecteur le choix d’y ajouter toute sorte de métiers, travailler à distance, ou comme l’on dit chez nous, exercer par télétravail. Quels en seraient les effets réels ? Imaginez, chers télétravailleurs, ou plus sournoisement téléspectateurs du monde réel, que ces acteurs-là, refusant tout risque de contagion avec le virus-tueur, s’enferment chez eux, comme nous le faisons depuis peu. Que se passerait-il ?
Dit autrement qui serait prêt à prendre le risque sanitaire de faire réellement fonctionner notre société moderne, si risque il y a ? J’ai par cette question, la lointaine mais déterminée impression, que la réponse prend la forme d’une pierre d’achoppement aux nouvelles idées, celles reçues des hautes sphères intellectuelles, qui, nous le savons tous, savent des choses.
Mais ne nous arrêtons point en si bon chemin.
Nous témoignons quotidiennement notre solidarité au dévouement du corps médical qui est en première ligne. Je participe régulièrement aux applaudissements de 21 heures en vis-à-vis avec mes voisins, remerciements sonorisés par les klaxons des véhicules qui osent encore passer par notre rue, expression de solidarité du quartier populaire où j’habite. Mais au-delà de cet engagement pour ce commandos sanitaire, hommes et femmes travaillant nuits et jours pour soigner et sauver, il y a de silencieux et invisibles mais tout aussi réels travailleurs qui font tourner la machine. Sans eux, nous n’aurions tout simplement pas de pain. Alors si le virus infiltrait ces sphères éloignées menaçant d’infecter cette population-là, malheurs à nous pauvres Tertiaires, car le télétravail pourrait bien être notre télé-tombe. Les magasins se videraient rapidement et à terme la police manquerait de carburant pour faute de personnel, terré chez lui par peur du malotru microscopique.
Doit-on “télé-légiférer” afin de contraindre cette plèbe à dormir sur son lieu de travail ? Qu’ils endurent la souffrance pour satisfaire nos besoins vitaux, nous qui restons sagement à la maison, télétravaillant pour maintenir notre économie virtuelle au sommet de la montagne, celle qui a vue sur les jardins d’Eden ! Je perçois en toi, lecteur du dimanche, une pointe d’étonnement, de crispation peut-être ? Si Dieu dans son infinie bonté sépara les cieux de la Terre, notre virus lui, aura dévoilé non sans ironie la séparation entre la réalité du travail de la virtualité du télétravail. Beaucoup d’entre nous sont assis religieusement devant leur écran, tapotant des choses. Cet écran-là n’est pas un miroir qui nous reflète la réalité, mais celui qui nous aspire dans l’irréel et l’agonisante infantilisation de soi.
Très pertinent merci pour cette excellente analyse. On pourrait ajouter l’absence de contrôle du télétravail combiné à une crise qui mène à une réduction des tâches.
Clairement une difficulté de plus pour mesurer la productivité de l’employé.
L’article perçoit les mécanismes perplexes du sujet abordé, ceci relève un point de vue perspicace.
Vos articles sont d’une pointe de plume fraîchement décocté, ne perdez pas la main.